Inspection sous-marine en eaux troubles : mesurer la visibilité pour mieux opérer

Turbid waters

Comprendre et mesurer la visibilité en eaux troubles : protocole et résultats

Dans de nombreuses applications sous-marines telles que les inspections d’infrastructures, les observations scientifiques, la détection d’objets ou simple documentation visuelle, les opérateurs sont confrontés à un défi majeur : la visibilité réduite en eaux troubles. Cette turbidité est causée par la présence de particules en suspension, issues notamment de sédiments remués, de boues, de courants ou d’activités humaines.

Comprendre, mesurer et reproduire ces conditions de faible visibilité est indispensable pour évaluer de manière fiable les performances des systèmes d’imagerie sous-marine. C’est dans ce cadre qu’un protocole expérimental dédié a été élaboré : il vise à quantifier l’impact de la turbidité sur la visibilité et à comparer objectivement différentes technologies de caméras.

Comment mesure-t-on la turbidité ?

L’unité la plus couramment utilisée pour qualifier la turbidité est le NTU (Nephelometric Turbidity Unit).
Historiquement, les premières mesures reposaient sur des méthodes visuelles simples, dont le célèbre disque de Secchi inventé en 1865. Ce disque noir et blanc était immergé progressivement jusqu’à ce que ses motifs ne soient plus discernables à l’œil nu ; la profondeur correspondante servait d’indicateur de clarté.

Aujourd’hui, la mesure est beaucoup plus précise grâce aux turbidimètres, qui fonctionnent par émission lumineuse et analyse du signal réfléchi.

Voici quelques exemples des turbidités :

  • Eau du robinet : inférieure à 1 NTU
  • Milieu marin “classique” : de 1 à 4 NTU la visibilité est supérieure à 1 m
  • Ports, rivières, estuaires : 4 à 8 NTU, la visibilité est souvent réduite à 50 cm
  • Au-delà de 8 NTU : les conditions deviennent très contraignantes pour la majorité des systèmes optiques, rendant les inspections difficiles. Mais les caméras ORPHIE permettent une visibilité encore suffisante et jusqu’à 16 NTU.

C’est dans ce contexte que les équipes d’i2S ont élaboré un protocole permettant de mesurer de manière contrôlée l’évolution de la visibilité selon la turbidité, en comparant une caméra sous-marine avec et sans technologie Orphie.

Création d’une turbidité maîtrisée

Une première étape consistait à identifier un moyen fiable et reproductible d’augmenter la turbidité de l’eau dans un bassin de test.
Les essais ont démontré que l’ajout progressif d’eau boueuse permettait d’obtenir une turbidité maîtrisée et représentative des conditions réelles.

Un turbidimètre immergé dans le bassin assurait le suivi précis du niveau de turbidité tout au long des essais.

Mesure de la visibilité

La visibilité a été évaluée en mesurant le contraste obtenu sur une cible noire et blanche, placée à différentes distances.
Quelques éléments clés du protocole :

  • Une mire à barres servait de référence pour la mesure du contraste.
  • La cible comportait plusieurs tailles de mires ; le contraste était mesuré sur la mire dont la dimension sur l’image correspondait à 10 pixels pour une paire de ligne.
  • Le seuil de 10 % de contraste a été retenu comme critère de visibilité, conformément aux usages du secteur : en dessous, la distinction entre le noir et le blanc n’est plus suffisamment exploitable.
  • Par ailleurs, les équipes ont retenu qu’une visibilité inférieure à 0,5 m constituait une condition non exploitable pour une inspection sécurisée. En pratique, s’approcher à moins de 50 cm d’une structure sous-marine représente un risque pour l’intégrité de l’infrastructure comme pour l’opérateur.

Modélisation : une courbe issue des travaux de Secchi

Les données obtenues ont été modélisées via une courbe proportionnelle à celle utilisée pour caractériser la visibilité de l’œil humain (dérivée des travaux de Secchi). Elle permet d’exprimer la visibilité en fonction de la turbidité.

Cette modélisation facilite la lecture des résultats : pour un NTU donné, elle permet de comparer directement la distance de visibilité d’une caméra standard et celle d’une caméra avec la technologie Orphie.

Campagne de mesure et certification

La campagne de tests a été réalisée en septembre 2025 dans un bassin d’eau de mer de 5 m de long et 1 m de profondeur.

Un expert en vision mandaté par Bureau Veritas était présent pour évaluer et certifier le protocole de test mis en œuvre. Cette présence garantit que les mesures ont été obtenues selon une méthode rigoureuse et reproductible.

Résultats : des performances doublées en conditions turbides

Les résultats montrent que :

  • Une caméra sous-marine standard permet une inspection sécurisée jusqu’à environ 8 NTU ;
  • La caméra ORPHIE permet de maintenir une visibilité exploitable jusqu’à au moins 16 NTU, soit dans des conditions deux fois plus turbides.

Cette capacité d’opérer dans des environnements très dégradés offre plusieurs avantages :

  • Réduction des reports de mission : moins d’annulations liées aux mauvaises conditions
  • Gain de temps et réduction des coûts liés à l’immobilisation des bateaux en mer en attente de meilleures conditions de visibilité
  • Inspections plus sûres grâce à une meilleure anticipation des obstacles et structures
  • Opérabilité étendue dans des environnements auparavant considérés comme trop turbides

Une avancée pour tout le secteur de l’inspection sous-marine

La certification de ce protocole et des performances obtenues ouvre de nouvelles perspectives dans le domaine de l’imagerie sous-marine.
Elle permet désormais de quantifier objectivement la visibilité en conditions turbides, jusque-là évaluée de manière subjective ou archaïque, et de comparer différentes technologies sur une base commune.

Cette approche marque une étape importante vers une standardisation de la mesure de performance des caméras en eaux troubles, au bénéfice des opérateurs, des industriels et de la sécurité des interventions sous-marines.